Par Thomas Hess
Traduction Madlen Stange
Relecture Alain Le Treut
Eva Joly est la première candidate à l'élection présidentielle en France à disposer de la double nationalité. Née en Norvège, elle a pu bénéficier de la double nationalité suite à son mariage. Le Groupe parlementaire « la droite populaire », lié à l'UMP a engagé un débat sur cette question.
En Allemagne seul les ressortissants de l'Union européenne ont la possibilité d'acquérir la double nationalité. La nationalité est un lien juridique entre l´Etat et le citoyen. L´Etat fixe souverainement les règles régissant l'acquisition de la nationalité. Ces trente dernières années, ces règles ont fortement évolué.
Depuis la loi sur la nationalité de 2000 et les lois sur l´immigration de 2005, la législation allemande et française en la matière se sont harmonisées. La nationalité peut être acquise en fonction du lieu de naissance, d'origine, d'adoption et d’une naturalisation. Ces facteurs sont différemment acceptés dans les deux pays. Les citoyens de l´Union européenne en Allemagne ont le droit de garder leur nationalité d´origine. Les citoyens originaires d'autres pays doivent choisir entre l'une des deux nationalités avant l’âge de vingt-trois ans. En France, ce n'est plus le cas depuis une loi de 1998. Un enfant né en France de parents étrangers, bénéficie automatiquement de la nationalité française. Cette loi est dans la ligne de mire du collectif « La droite Populaire ».
L´objectif du groupe, fondé par deux députés UMP : Lionnel Lucas et Thierry Mariani est « un retour aux valeurs fondamentales de la droite.»
Fin 2010 les 42 députés membres du groupe ont soumis une proposition d'amendement des règles régissant la double nationalité.
« La double ou la triple nationalité, c'est l'utilisation de son passeport comme d'une carte de crédit. C'est utiliser les ressources de chaque nation en fonction de son intérêt personnel : ici la meilleure couverture sociale, là la fiscalité la plus faible. Ce ne sont pas ces facteurs qui doivent définir le sentiment d'appartenance à une nation, au contraire ils la désagrègent et favorisent le communautarisme » commentait à l'époque Lionnel Luca. La proposition d´amendement a d'abord été rejetée par le Gouvernement français. Pour protester, Lionnel Lucas avait alors présenté sa démission en tant que Secrétaire d'Etat à l'immigration en juillet 2011.
Cependant, le collectif de la Droite Populaire représente la droite radicale de l´UMP. À moins d’un an des présidentielles, Nicolas Sarkozy est alors soucieux de ne pas froisser ces électeurs. Le Secrétaire Générale de l'UMP Jean-Francois Copé réussit a convaincre le Député de rester au sein du Gouvernement grâce à l'organisation d'une convention sur la nationalité présidée par Lucas et Copé. En juin 2011, le député Claude Goasguen, rapporteur de la mission d'information parlementaire sur le droit à la nationalité a ravivé le débat sur la double nationalité.
Selon Goasguen, le nombre de naturalisation devrait être limité. Un enfant né en France devrait à l’âge de 18 ans en faire la demande pour obtenir la nationalité française. L'application de ce système pourrait conduire à une procédure similaire à celle appliquée en Allemagne.
À la fin des années 90, la coalition rouge-vert (SPD-vert) planifiait une reforme des règles d'obtention de la nationalité allemande. L'objectif était de rendre possible l’obtention d’une double nationalité. L´opposition, représentée à l'époque par la CDU/CSU, organisa une pétition contre la reforme du droit à la nationalité. Un des arguments était alors que cette réforme entrainerait une augmentation de l'immigration. Aujourd'hui c'est le même argument qui est utilisé par les détracteurs de la double nationalité en France : 135 000 naturalisations c'est trop ! La campagne de la CDU/CSU en Allemagne arborant le slogan « Oui à l'intégration, non à la double nationalité » a eu une grande influence sur le scrutin des élections régionales de 1999 dans le Land de Hesse. Ces élections régionales ont eu des airs de referendum sur la réforme de la nationalité allemande. La CDU/CSU sortit gagnante de l´élection dans le Land de Hesse et la coalition rouge-verte perdit sa majorité au Bundesrat. La réalisation de la réforme est alors devenue impossible. Après de longues négociations c'est le système du « Optionsmodell » qui fut adopté comme compromis. Le débat en Allemagne à cette époque comporte beaucoup de similitudes avec celui qui se déroule aujourd'hui en France.
« Ce n'est pas en posant le couvercle sur un problème qu'on le résout. Par ailleurs, le problème n'est pas posé par les Français de l'étranger, mais par les non-Européens en France. » Ce commentaire de Lionel Luca illustre la motivation du groupe « La Droite Populaire » à modifier des règles pourtant inchangées depuis un certain temps en France. Le contrôle de la nationalité et des naturalisations est transformé en régulateur de l'immigration et des problèmes qui y seraient liés. À l'époque de la campagne « Oui à l´intégration, non à la double nationalité », la question de la double nationalité fut transformée en débat sur l'immigration. Après d'intensives discussions, la solution d’un « Optionsmodell » (modèle d’option) est choisie comme alternative. Ce modèle constitue un compromis problématique. Les enfants de familles d’immigrés disposent en Allemagne d'un droit à la nationalité allemande limité dans le temps. En effet, à l’âge de 18 ans, ils devront choisir entre leurs deux identités avant leur 23ème anniversaire. Cette période place les jeunes devant un dilemme important car ils doivent alors choisir entre leurs deux cultures. Une telle décision pourrait s'avérer contreproductive pour leur intégration. Il est difficile de se sentir intégré lorsque la législation oblige un citoyen à un tel choix identitaire. Les exceptions de cet « Optionsmodell » pourraient approfondir ce sentiment d'injustice. En effet, les enfants issus de mariage binationaux ou les citoyens d'autres pays de l´Union européenne ne doivent pas prendre une telle décision et peuvent donc garder leurs deux passeports. Ainsi, depuis 2000 il existe en Allemagne deux classes différentes de citoyens: certains sont reconnus dès le début comme Allemand, et d'autres sont considéré comme des étrangers potentiels. Les opposants à la double nationalité assuraient que la nouvelle loi de 2000 aurait comme effet une augmentation de l´immigration. Cependant, selon les dernières statistiques réalisées en Allemagne le nombre de naturalisation a reculé. Ces chiffres pourraient attester de l'effet négatif de l' « optionsmodell » sur l'intégration. Cette réforme présente aussi un problème administratif ainsi qu'une base juridique fragile. En 2018 l'administration allemande devra traiter plus de 40 000 dossiers. Au delà de ce problème, l'Optionsmodell présente de grosses contradictions juridique. Que ce passe t-il, par exemple, pour un ressortissant marocain à qui il est interdit par la constitution marocaine d'abandonner sa nationalité ? C'est ici qu'on touche le noyau dur du problème : la loi allemande empiète ici sur le droit d'autres pays souverains. Même en Allemagne la nationalité est protégée de la même façon par l'article 15 de la loi fondamentale. Nombreux sont ceux en Allemagne qui critiquent ce bricolage juridique. Le SPD, les verts et die Linke (équivalent du « Front de Gauche » en France) désirent changer ce système. Aydan Özogu, secrétaire à l'intégration au sein du SPD précise: « Si l'on refuse de nouveau la double nationalité, nous rateront la chance de permettre à des individus socialisés ici de se sentir membre à part entière de la société allemande ».
Le débat apparu en France n'était peut être qu'une tactique de la part de Nicolas Sarkozy pour glaner des voix à droite. La réforme a aussi été critiquée au sein de l'UMP. Cependant, si l'on considère les nombreuses faiblesses du système allemand, il est clair que les lois d'attribution de la nationalité n'ont pas vocation à devenir un régulateur de l'immigration et des problèmes qui peuvent y être liés. En Allemagne pendant ce temps on s'efforce de reformer un système installé depuis plus de dix ans.