Par Bénédicte Schneider
Peut-être avez-vous cédé au plaisir de vous rendre à la 11è édition de la Semaine du Film français de Berlin déroulant son tapis cinématographique du 1er au 7 décembre dans la capitale. Placée sous le signe de l’« émotion », la manifestation a su surprendre les amateurs des salles obscures. Elle a offert à son public, par-delà la projection de 18 films francophones, dont certains proposés en avant-première nationale, des rendez-vous incontournables avec les équipes de tournages à l’instar d’Eric Toledano, Olivier Nakache et François Cluzet (Intouchables), Marjane Satrapi (Poulet aux prunes) ou encore Dominique Abel et Fiona Gordon (La Fée).
Pour ma part, je n’ai pas boudé cet appel cinéphile :
- 2 décembre 10h, Filmtheater am Friedrichshain.
Confortablement installée dans l’un des fauteuils rouges défraichis du cinéma classé monument historique, je me laisse rapidement emporter à mille lieux de Friedrichshain par le Chat du rabbin, depuis le port d’Alger vers l’enceinte de la ville, jusqu’à la casbah et la maison de Sfar, le rabbin. Dans ce très beau film d’animation jonché de rebondissements, il ne s’agit pas seulement de la mise en scène d’un conte oriental pour petits et grands, ni d’une fable moderne où le racisme est lacéré à coup de griffes, mais de l’apprentissage à l’humanité qui soulève des questions essentielles. La quête d’un chat doté de la parole permet à Johann Sfar de combiner dans son œuvre différentes problématiques : religieuses, philosophiques, intergénérationnelles, sentimentales enfin. Les rythmes insufflés aux dessins colorient cette comédie vivante d’un charme entrainant que ne lui dénia pas le public présent, puisqu’en dernier lieu, estompant frissons et fous rires, une salve d’applaudissement salua les dernières notes engageantes de l’Amsterdam Klezmer Band.
-20h30, Cinéma français :
Changement de décor en se rendant à l’Institut français, sur le Kurfürstendam qui scintille sous les feux de ses luxueuses devantures apprêtées aux fêtes de Noël. Le public présent est semblablement métamorphosé, des adultes en remplacement des enfants en bas-âge, les talons aiguilles contre les baskets. D’ailleurs, la foule est venue en nombre ce soir ; salle comble et guichets fermés aux retardataires.
Faut-il chercher parmi les origines de cet engouement, l’annonce de la présence de l’auteur réalisateur ? Mise en appétit par l’heureuse surprise du matin, et comme pour tant d’autres, le souvenir de l’excellent Persépolis (2008) en mémoire, avivent mes attentes envers le deuxième film du savoureux duo Marjane Satrapi & Vincent Paronnaud. La seconde étape de cette virée cinématographique se poursuit ainsi par une halte à Téhéran, Iran. Mais le long-métrage ne s’y arrête qu’un bref instant, car l’histoire de Poulet aux prunes ne se joue pas dans les coulisses politiques du pays, elle se niche plutôt dans un interstice artistique. Nasser Ali Khan, un célèbre violoniste iranien, a la mort dans l’âme. A l’issue d’une dispute conjugale, son instrument de musique se brise. Terriblement meurtri par la perte du violon fétiche qu’il ne parvient pas à remplacer et sans lequel il ne conçoit plus de jouer, il décide de mettre fin à sa vie. En attendant que la mort l’emporte, le fil de son histoire ainsi que celle de ses descendants se déroule sous nos yeux.
La projection se clôt avec une belle rencontre, où la réalisatrice face à son public, se livre aux questions de l’auditoire. L’intervention se révèle tout autant fascinante qu’enrichissante, Marjane Satrapi nous procurant un éclairage captivant sur son travail, ses sources d’inspiration et ses ambitions. Par ailleurs, si l’on se sentait quelque peu décontenancé, voire déçu par le clivage qui sépare ses deux productions, c’est au prix d’un détour psychologisant, qu’il est possible de retrouver son chemin. En effet, la trame de Poulet aux prunes est également autobiographique, mais la situation géopolitique dans le contexte de la dictature du shah (l’action se déroule en 1958) ne figure qu’en filigrane. A l’inverse d’un film comme Les Chats persans (Bahman Ghobadi, 2009) la musique n’y représente pas un instrument de révolte, ni une arme de libération contre l’Iran des mollahs. Nasser Ali Khan, dont le rôle est interprété par Mathieu Amalric, au lieu de résister, a abdiqué dans le combat de l’existence.
Ce film est profondément personnel, avoue-t-elle. « A l’origine de l’écriture, il y a une photo d’un oncle que je n’ai pas connu. C’était un célèbre musicien qui est mort de tristesse. Mais c’est surtout ma propre personne qui est représentée, avec une liberté d’expression d’autant plus facile, que j’ai choisi de parler de moi à travers un personnage masculin. » Pourtant, l’artiste, telle qu’elle se tient devant nous, envers laquelle les attentes n’ont d’égal que la renommée, n’a pas l’apparence d’un individu défait. Elle n’exclut pas de continuer à créer, lorsque la question d’un prochain film lui est tout naturellement posée : « Oui. Mais le cinéma peut être comparé à un paradis artificiel, à une drogue. Il comporte des hauts et des bas, des moments d’euphorie et de dépression. En outre, il faut compter trois ans pour produire un film. Or en admettant qu’il m’en reste trente à vivre, cela signifie que j’y consacre encore 10% de mon existence ! La question mérite réflexion, je ne sais pas encore comment je vais profiter de ces années restantes. » Par la force de l’humour et la beauté des images, le fardeau du tragique, le poids des contraintes se lestent dans la vie réelle, par effet d’analogie, dans la fiction aussi.
- 7 décembre 21h, cérémonie de clôture au Kino International :
Le dernier rendez-vous de la semaine rend écho sous plusieurs aspects au visionnage précédent. Promesse du cinéma français, La Guerre est déclarée a été sélectionnée pour représenter la France, en compétition lors de l’Oscar du meilleur film étranger ; son auteur est une femme (Valérie Donzelli), son motif une autobiographie, le genre qu’on lui suppute la comédie dramatique, etc. Passé ce constat superficiel, et guidée pourtant dans ce choix par l’excellent accueil de la critique, je ne m’étonne pas des spectateurs présents en masse. De part et d’autre de la salle, c’est en langue française qu’on chuchote. Mais lorsque le rideau scintillant se lève, un silence quasi monacal s’installe, qui ne sera dérangé que par des reniflements passagers et quelques éclats de rire. Paris est brossé à grande vitesse, le temps d’une narration on s’y croirait presque de retour. La Guerre est déclarée aborde un sujet douloureux. Les deux scénaristes, qui sont également les acteurs de leur film comme de l’histoire, affrontent bravement un ennemi sournois. Par bonheur, l’homme en devenir, le couple qui l’a mis au monde ainsi que sa famille, parce que la lutte exige de la solidarité, triomphe. Adam est âgé de 18 mois à peine lorsqu’on pronostique une tumeur au cerveau cancéreuse. Le parcours des combattants commencent alors pour Roméo et Juliette, un couple aussi beau qu’illustre.
À Berlin, le pari semble réussi pour les organisateurs de cette manifestation honorant le cinéma francophone contemporain. Au total, 5644 amateurs de cinéma se sont déplacés afin de découvrir le charmant assortiment de films, une hausse de visiteurs que l’on souhaite croissante pour les futures incarnations des Semaines du cinéma français !